PRIME À L’HUMAIN, PEAU DE LAPIN

Et l'humain dans tout ça ?

Caisse automatique

 

On nous serine depuis des années que le principal capital des entreprises, c’est le capital humain. Au début, on trouvait ça un peu mièvre mais pas méchant. On se disait que bon, oui, bien sûr, c’est important d’avoir un peu de considération pour les autres mais qu’il y avait aussi les locaux, les machines, les savoir-faire, les stocks et tutti quanti… Dorénavant, on se rend compte que cette « primalumain » ressemble de plus en plus à du foutage de gueule caractérisé.

Prenons deux exemples.

D’abord les caisses automatiques. Certes, ce n’est pas absolument nouveau puisque le premier système a été installé en 1992 dans le supermarché Price Chopper, à New York. Mais jusqu’à présent, cela restait assez confidentiel. Et puis Amazon s’y est mis. Il n’y a rien de surprenant à cela. Pour la firme de Jeff Bezos, l’humain bedonnant et stupide n’est bon qu’à acheter ses produits en ligne en faisant le moins d’efforts possibles pour bouger de son canapé. Dans ses bureaux et dans ses entrepôts, l’humain n’est qu’une charge inutile et rouspétante. Autant s’en débarrasser !

Là où cela se complique, c’est que la plupart des enseignes de grande distribution s’y sont mis, arguant du fait que cela fluidifie le trafic en magasin en évitant l’attente en caisse, que l’on économise de l’espace, que les caisses sont multilingues, que les hôtesses de caisse peu qualifiées peuvent être remplacées par des attachés à la clientèle, bref, qu’il faut digitaliser tout cela. Eh oui, ma bonne dame, la révolution numérique est passée par là, il faut atterrir, nous sommes au 21èmesiècle, ah, ah, ah… Imbécile !

Revenons un instant à l’hôtesse de caisse. Pendant des années, on lui ordonnait de s’en tenir au SBAM (sourire – bonjour – au revoir – merci) et de fermer sa gueule. Docile, elle s’exécutait dans les fracas des caddies, les criaillements des enfants et les beuglements de son supérieur hiérarchique. Maintenant, la voilà qui se transforme en attaché de clientèle. Bref, elle reste debout toute la journée, sans temps de pause et sans considération de quiconque. La belle affaire !

Un deuxième exemple : il y a quelques semaines, j’ai pris l’avion en famille. Au moment d’enregistrer nos bagages, j’ai réalisé que les traditionnels guichets avaient été remplacés par des caisses automatiques où le voyageur, déboussolé et maladroit doit enregistrer lui-même ses sacs et ses valises en veillant à ce qu’elles ne dépassent pas le poids autorisé. Ah, je les entends déjà, les parangons de la révolution numérique. Économie de place, gain de temps, agilité, digitalisation… bla, bla, bla.

Pendant ce temps, les pauvres hôtesses étaient obligées de courir d’un voyageur à l’autre, éreintées dans leur tailleur serré et leurs souliers à talon. Les pauvres…

Enregistrer ses bagages tout seul

Enregistrement automatique aéroport asiatique

Mais bon, c’est la révolution numérique. Il faudra s’y faire. Des métiers vont disparaître, d’autres vont surgir d’on ne sait où. Ceux qui ne s’adaptent pas seront les grands perdants. Alors il faut se transformer, il faut être agile. On oublie peut-être la phrase de Sénèque : « Il n’y a point de vent favorable pour celui qui ne sait où il va ».

Nous sommes convaincus qu’on ne peut plus se moquer du monde d’une telle façon, que l’on arrive au bout d’une logique où l’on casse l’humain sous prétexte de le libérer. Les injonctions creuses, les prophéties stupides et les pétitions de principe n’y feront rien. Tant que l’on mettra l’impératif financier au-dessus de tout le reste, la « primalumain » vaudra autant qu’une peau de lapin.

Si malgré tout vous avez vraiment envie de vous soucier de l’humain, nous ne saurions trop vous recommander d’écouter ce qu’ils ont à vous dire car ils regorgent de trésors à partager et d’histoires à raconter. Quant à nous, nous sommes là pour recueillir leurs témoignages et en faire de belles histoires.

 

Ananie qui vous veut du bien.