C’était une autre époque. Et pour certains, c’était la fin d’un monde. Un monde qu’ils avaient connu comme leurs pères et leurs grands-pères avant eux. Un monde noir, viril, de souffrance et de sueur. Un monde que l’on m’offrit de découvrir pour quelques jours. J’ai eu la chance d’accompagner les derniers mineurs de charbon de la mine de la Houve, en Lorraine, avant qu’elle ne ferme définitivement.
Dans la préface du livre que l’on me demanda de rédiger, Philippe de Ladoucette, Président de Charbonnages de France et homme d’une grande humanité, souligne que « cet arrêt qui est celui de la dernière mine exploitée par Charbonnage de France tourne la page d’une extraordinaire épopée de notre pays : celle du charbon. Depuis trois siècles, des hommes ont bravé les entrailles de la terre pour en extraire cette énergie qui a été indispensable à notre développement personnel et à notre indépendance énergétique (…) Une page de notre histoire industrielle se tourne mais aussi une page d’Histoire qui mérite respect et admiration. »
C’est avec respect que je suis descendu au fond de la mine. Le sentiment qui me prenait aux tripes quand je suis remonté était l’admiration. J’ai donné la parole aux derniers mineurs de charbon. En voici quelques extraits.
Ils m’ont parlé des chevalements : « C’était un peu nos cathédrales. »
Ils m’ont parlé de la vie au travail, des rituels et des gestes : « En remontant, je me suis dit : ça y est ! Tu es un homme maintenant. Et cette première bière, le champagne du mineur. Qu’est-ce qu’elle était bonne ! »
Ils m’ont parlé des transports au fond de la mine : « Et là, chacun avait ses habitudes. On s’asseyait avec ses copains, chacun à sa place. Et on discutait, on jouait à la belote, on mangeait. Certains dormaient, surtout ceux du poste de nuit. C’était sympa. »
Ils m’ont parlé des techniques de production : « Quand la machine fonctionnait bien, on l’aimait bien.Mais quand elle ne marchait pas, moi, j’étais triste, déçu. C’était un peu comme une relation amoureuse. »
Ils m’ont parlé des savoir-faire et des métiers : « Mais bon, quand il y avait un problème, on redevenait tous mineurs, quel que soit notre métier. J’ai vu bien des porions (surveillants) se retrousser les manches pour donner un coup de main. »
Ils m’ont parlé de solidarité et de courage : « Quand on était au fond, on était comme sur un bateau, il n’y avait pas d’échappatoires possibles. Alors comme c’est un milieu hostile, on était obligé de compter sur les autres, d’être solidaire.
Ils m’ont parlé de sécurité : « Mais de tout façon, une mine, ça se sent. Quand on était au fond, tous nos sens étaient en éveil. On était toujours sur le qui-vive, on surveillait le moindre bruit, la moindre odeur anormale. »
Ils m’ont parlé du charbon : « C’est quand même grâce à nous que la reconstruction a pu se faire après la guerre. Et c’est à partir du charbon et de l’acier que l’Europe actuelle est née. Ce n’est pas rien. »
Ils m’ont parlé du carreau et des corons : « Parce que la mine, c’était la seule industrie de la région. Tout tournait autour des houillères, le club de foot, les associations, même le curé dépendait en quelques sortes des houillères. »
Ils m’ont parlé de la réhabilitation des sites miniers enfin : « Et je suis fier que nous laissions des terrains propres aux générations qui vont suivre. Parce que c’est notre terre, notre histoire, notre patrimoine. »
C’étaient de belles histoires d’hommes, de camaraderie, de solidarité, de labeur et de fierté.
Le temps a passé. La nature a repris ses droits sur les œuvres des hommes. Mais le souvenir de ces lumineuses journées noires ne s’est pas effacé de mon esprit. Et je sais aussi que les derniers mineurs de la Houve gardent précieusement le livre que nous avons rédigé ensemble.
Je suis convaincu qu’il y a encore de belles histoires à raconter. N’hésitez pas à me contacter pour les partager.
Ananie qui vous veut du bien.